Pourquoi j'ai fait ce film
par Emmanuel Audrain
En 2008, Simone de Bollardière ( la veuve du général Jacques de Bollardière ), m’incite à venir à l’Assemblée Générale des « 4ACG » ( Les Anciens Appelés en Algérie, et leurs Amis, Contre la Guerre ).
Ces hommes âgés ont choisi de ne pas garder pour eux-mêmes, leurs retraites de combattant, mais de les reverser à des Associations algériennes.
Ce qui me marque dans cette rencontre, c’est ce moment où les nouveaux adhérents de l’Association se lèvent et se présentent, évoquant chacun leur parcours algérien.
Un « grand costaud » dit ne pas avoir besoin du micro, mais il n’arrive pas à achever son récit, la voix brisée.
Pour beaucoup, « c’est la première fois » qu’ils parlent. Certains ont les larmes aux yeux, d’autres doivent se rasseoir prestement, submergés par l’émotion.
Ce moment de vérité – exceptionnel – me rend ces hommes très attachants.
Le projet de film naîtra un peu plus tard. Sa réalisation s’étalera sur trois années.
En 2013, notre petite équipe a accompagné les trois Voyages de l’Association. 35 jours en Algérie, pour moi. Avec un matériel très discret, nous avons filmé du mieux que nous avons pu… Pour nous rendre compte, au stade du montage, que le vrai voyage de ces hommes, était bien sûr, leur voyage intérieur. Celui, qui va de leurs 20 ans à aujourd’hui. Ce long chemin, où avec cœur et intelligence, ils ont su retrouver l’estime d’eux-mêmes.
La France malade de l'Algérie
Retour en arrière.
En juin 2000, la journaliste Florence Beaugé publie dans Le Monde un entretien avec une résistante algérienne, Louisette Ighilahriz, torturée pendant trois mois dans une unité parachutiste. Elle veut retrouver - et remercier - le médecin militaire qui lui a sauvé la vie.
Son témoignage, met en cause les généraux Massu et Bigeard… Il va soulever la chape de plomb qui pesait sur la Guerre d’Algérie.
Le général Bigeard menace le journal d’un procès tonitruant.
Le général Massu - à la surprise de tous - répond que ces faits sont plausibles.
Il ajoute : « Quand je repense à l’Algérie, ça me désole.
On aurait pu faire les choses, différemment… »
Trois mois plus tard, à 92 ans, donnant sa dernière interview à Florence Beaugé, il ajoutera : « On aurait dû, faire autrement. »
Au même moment, le général Aussaresses, son adjoint pendant la Bataille d’Alger, décrit la systématisation de la torture et la liquidation - pour les six premiers mois de 1957 - de 3000 opposants Algérois. « Sans remords », dit-il.
Il reconnaît avoir éliminé lui-même, l’avocat Ali Boumendjel et le résistant Larbi Ben M’Hidi (Le « Jean Moulin algérien »).
Les historiens comme des repères
L’ensemble de la presse, se fait l’écho de ces révélations. En quelques mois, la France redécouvre son passé algérien.
Les historiens sont sollicités, Pierre Vidal-Naquet, Benjamin Stora… Mais aussi, la jeune génération des Tramor Quémeneur, Claire Mauss-Copeaux, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault… Leurs ouvrages - tous remarquables - rencontrent un large public.
Dans les familles des Anciens Appelés, vient le temps des premières questions…
Le fils de Rémi, celui de Gilles… Le passé fait retour.
En 2004, Rémi, Georges, Armand et Michel lancent la 4ACG, Association des Anciens Appelés, et Leurs Amis, Contre la Guerre. Ils choisissent Simone de Bollardière comme présidente d’honneur.
L'esprit de résistance
Simone de Bollardière : « Heureusement que mon mari s’est opposé à la torture.
Intérieurement, je ne cesse de le remercier !
Pour les anciens Appelés, particulièrement quand ils vont à la rencontre de jeunes collégiens ou lycéens, le général Jacques de Bollardière – le militaire le plus décoré de la France Libre - est un homme qu’ils aiment évoquer.
« Nous l’admirons parce qu’il a su désobéir. Il a osé dire, Non !»
Ils ajoutent : « Le plus dur, pour nous, ce n’est pas tant ce que nous avons fait… Que, ce que nous n’avons pas fait. Ou, pas dit.
Les actes de résistance que nous n‘avons pas posés.
Ou, pas assez. »
Le testament de Tibhirine
Mon précédent film « Le Testament de Tibhirine » a été diffusé sur France 3 en 2006, « à une heure très tardive ». C’est ainsi, qu’il a rencontré - par hasard – un homme de cinéma ; ce spectateur attentif, est le futur scénariste et producteur du film « Des hommes et des dieux ».
Trois ans plus tard - après le succès que l’on sait ! - celui-ci dira, que « Le testament de Tibhirine » a joué pour lui, le rôle d’un « déclic ». Dans la nuit qui avait suivi, il s’était promis d’être présent au Festival de Cannes, avec cette même histoire (« Pourquoi sont-ils restés ? »), sous la forme d’une fiction.
Faire de l'épreuve un tremplin
Dans « Le testament de Tibhirine » (le documentaire) on apprend que trois des sept moines, ont fait la Guerre d’Algérie… Eux aussi, en avaient été durablement marqués. En revenant vivre en Algérie, ils avaient accompli, un désir très profond.
Les moines, comme les « Anciens Appelés en Algérie Contre La Guerre », avaient su faire de cette épreuve de leur jeunesse, un élan, un tremplin, pour « plus de vie ». Les uns et les autres, affirmant une même solidarité – indéfectible - avec le peuple algérien.
Cette convergence m’intéresse et me touche.
Emmanuel Audrain.